Introduction
Notice
Je conseille de lire mon mémoire sur un navigateur WebKit récent, Chrome ou Safari par exemple avec un écran d'au moins 13 pouces. Fonctionne également sur iPad.
Interface
Le menu, à gauche, permet de naviguer entre les différentes parties et chapitres. Vous pouvez aussi utiliser la molette de la souris ou les flèches haut et bas du clavier.
Au centre de la page se trouve le texte rédigé avec des notes de bas de page.
La partie à droite permet d'explorer toutes les références correspondantes au texte affiché. Avec les flèches gauche et droite, vous pouvez changer la vue pour étendre cette zone, ou bien en cliquant sur la flèche en bas à droite de l'écran.
Par ailleurs, je recommande d'être connecté à internet pendant la lecture afin d'enrichir le contenu avec des références 'externes'.
Bonne lecture!
Méthodes de consultation alternatives
- Télécharger la version interactive (consultable hors-ligne)
- Consulter la version imprimable
Notice
Cette édition papier présente une archive de mon mémoire, utile au cas où la version numérique serait hors ligne.
Si vous en avez la possibilité, je vous conseille fortement de le lire avec l'interface numérique interactive.
Préface
En 2012, je suis allé au Boom, un festival Portugais de musique électronique psychédélique semblable au très connu Burning Man. Loin d’être un simple évènement purement festif, j’ai passé deux semaines dans une zone de vie expérimentale, écologique, utopique et quasi autonome où j’ai été agréablement bouleversé par un choc socioculturel assez remarquable. On peut participer à des sessions de médecine alternative (chants, yoga, etc.), débattre lors de conférences, apprendre dans des workshops, etc. Ce type d’évènements attire un public très diversifié venant du monde entier parmi lesquels on est nombreux à être d’accord avec l’idée qu’on vit dans un monde irresponsable et fragile, et on réfléchit à de possibles solutions. Je continue à fréquenter régulièrement ces lieux utopiques qui se produisent localement à une plus petite échelle et de manière marginale. Je participe par exemple au développement de cette culture en organisant des évènements avec l’association Karma Kusala, active sur Montpellier, Nimes et Toulouse et l’association A.D.N., présente sur les régions d’Amiens et Grenoble.
Toujours propulsé par le fait que nous vivons dans un monde malade, la dette héritée de nos ancêtres récents, cette activité/pratique personnelle m’a ensuite emmené à découvrir d’autres mouvements en lien avec cette éthique. Cela m’a naturellement emmené à la théorie de l’Anthropocène, en pleine effervescence, qui marque notre entrée dans une période « qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre. » [Wikipédia] Cela soulève énormément de questionnements que je ne détaillerai pas, mais que j’ai placés dans un contexte plus large et actuel. Ainsi, j’ai trouvé des liens avec divers mouvements artistiques et philosophiques comme l’altermondialisme, le chamanisme (moderne ou pas), la cybernétique, etc. D’un point de vue pratique, certains problèmes soulevés trouvent même déjà des solutions, notamment sur internet et avec l’aide de l’outil numérique : l’open source, le p2p, le crowd-funding, fablabs, hacker spaces, Wikipédia, cryptomonnaies, etc., mais elles restent malheureusement encore très marginales pour la plupart.
Je retiens de ces recherches que nous sommes dans un contexte de mondialisation dominé par une politique fragile, aveugle, ignorante, et irresponsable dans laquelle émergent cependant de plus en plus d’initiatives et alternatives ayant conscience des enjeux anthropocènes. De nombreux écologistes et activistes sont d’ailleurs d’accord sur le fait qu’il faut un changement global et immédiat pour remédier à la situation. Cela implique, selon moi, un changement de mentalité globale pour être effectif. Puisque l’art contemporain est nécessairement confronté à la réalité actuelle et souvent critique, l’artiste pourra jouer rôle majeur dans le contexte sociopolitique mondial actuel pour introduire ce changement et sensibiliser à un mode de vie plus responsable.
D’autre part, je remarque que la question de la Nature, sous sa forme organique, revient quasi systématiquement comme une sorte de solution universelle aux problèmes soulevés par l’Anthropocène. C’est une question qui devient majeure dans cette période de crise profonde. Cela dit, même si elle constitue notre environnement viral, on ne la connaît que très peu, surtout quand on s’intéresse à sa complexité intégrale. La Nature, organique, autonome et constante, évolue différemment à chaque moment en fonction de son contexte. Elle est plus grande que nous l’imaginons et pourtant elle nous surprend encore chaque jour, comme tout autant nous l’ignorons et la dénigrons quotidiennement. De par son ancienneté et complexité, je pense donc qu’il est important de mieux la connaître, d’autant plus que sa richesse ne fait qu’alimenter mes inspirations artistiques. En tant qu’artiste, c’est ce qui me motive à intégrer cet élément dans mon travail dans le but qu’on lui accorde un peu plus d’attention et de respect.
Par ailleurs, le numérique fait aujourd’hui intégralement partie de notre quotidien. Smartphones, ordinateurs personnels, montres, équipements connectés, voitures, robots, supercalculateurs, etc., les systèmes informationnels trouvent de nombreuses applications. Devenu beaucoup plus abordable et accessible, le numérique existe dans tous les formats et intègre aujourd’hui intégralement notre environnement. C’est un outil puissant, complexe et abordable qui convient à de nombreux usages. Sur le plan artistique, l’art numérique pourrait jouer un rôle majeur dans l’histoire Anthropocène s’il arrive à correctement appréhender la question de la Nature. Ce n’est pas anodin si autant d’artistes se sont emparés de cet outil révolutionnaire.
Les technologies numériques se fondent aujourd’hui sur des capacités d’auto-organisation empruntées à la Nature, constituant un système informationnel plus vaste et complexe permettant aux artistes de créer des œuvres qui se fondent sur une réalité biologique. Je m’intéresse plus particulièrement à la façon dont les artistes s’emparent de l’outil numérique pour aborder la question de la Nature, sous sa forme organique, comme force créatrice et source d’énergie artistique. Grandement intrigué par les possibilités qu’offre l’écriture numérique aujourd’hui à la création artistique, j’explore à travers cet écrit la nature organique de l’art numérique pour tisser un lien entre le monde virtuel et le réel.
Le numérique organique est un titre assez contradictoire. Le numérique est une création purement humaine : il est artificiel alors que l’organique caractérise le vivant. Cet écrit commence par une brève introduction théorique à l’outil numérique avant de m’intéresser davantage à la façon dont il permet aux artistes de retranscrire la réalité. Je poursuis ensuite ma réflexion en analysant ce que devient cette réalité une fois insérée dans ce monde composé de chiffres pour enfin m’intéresser à la question de la pratique artistique face à cette complexité organique.
Remerciements
Je remercie l'équipe pédagogique de l'Esaaix, particulièrement Jean Cristofol qui m'a suivi sur la rédaction de ce mémoire, Riccardo Garcia, Paul-Emmanuel Odin, Douglas Edric Stanley, Guillaume Stagnaro, Graeme Reid et Grégory Pignot.
Je remercie également la communauté open source pour leurs contributions 1; ainsi que les artistes-programmeurs référés dans ce mémoire pour leur esprit de partage et d'exploration.
- À savoir que l'interface de navigation de ce mémoire déploie de nombreux cadriciels open source. ↩
1. L’ordinateur, un outil de sciences précises
Définition Libre
Alors que les premiers ordinateurs (tels qu’on les connait aujourd’hui) sont apparus vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, son usage a aujourd’hui explosé en popularité ; à la fois pour un usage personnel que dans le milieu professionnel. Les fonds apportés par la recherche scientifique, médicale et militaire ont permis de réduire sa taille, son coût et sa consommation tout en augmentant sa puissance. À titre d’exemple, William Latham, artiste chercheur dans les laboratoires d’IBM dans les années 80 disposait d’un étage entier d’ordinateurs pour faire ses simulations et rendus. Dans une conférence, il indique que c’était l’équivalence en puissance de calcul de 2 ou 3 ordinateurs personnels en 2014. C’est une évolution considérable pour une période aussi courte. Je n’expliquerai pas en détail son évolution, je vais cependant relever certaines de ses caractéristiques.
Physiquement parlant, je définirai un ordinateur comme un ensemble de composants électroniques interconnectés les uns aux autres de façon à former un flux d’informations continu. Chaque composant a un rôle précis dans l’exécution du processus, une sorte de boucle infinie qui actualise sans cesse l’état de la machine. Sur Wikipédia, l’ordinateur se définit comme « une machine électronique qui fonctionne par la lecture séquentielle d’un ensemble d’instructions, organisées en programmes, qui lui font exécuter des opérations logiques et arithmétiques sur des chiffres binaires ». J’aime bien cette définition, car elle est précise et concise, mais elle reste très abstraite : on ne sait toujours pas ce que c’est, ni à quoi cela sert. Cela reflète bien le rapport qu’on a avec lui de nos jours. C’est devenu un outil extrêmement courant et il a été interfacé de nombreuses façons, par exemple par de simples boutons ou une interface graphique affichée sur un écran. On ne sait pas comment ça fonctionne internement, mais on connait ses fonctions, son utilité, ses applications et on sait comment s’en servir. C’est l’essentiel.
Le Hardware
Dans les parties à venir, certaines thématiques que j’aborde ont besoin d’une connaissance plus approfondie de la structure physique d’un ordinateur. Ce paragraphe va donc brièvement expliquer la structure d’un ordinateur personnel basique, souvent utilisé par l’artiste numérique de par son accessibilité, sa puissance de calcul et son tarif. C’est avant tout l’outil qui fait vivre un monde virtuel et qui permet de mettre en marche l’art numérique.
L’ordinateur personnel, issu de la 4e génération d’ordinateurs1, dispose d’une carte mère en guise de système nerveux si on le comparait à un cerveau humain. C’est ce qui va connecter tous ses autres composants ensemble. Chaque composant nécessite un courant électrique fourni par un bloc d’alimentation. Son microprocesseur (CPU) définit sa puissance de calcul, et donc sa rapidité. Certains CPU permettent même de faire plusieurs calculs en même temps. Le disque dur permet d’enregistrer des données, informations ou des programmes. Pour qu’un programme puisse être exécuté, il doit être chargé dans la mémoire vive (RAM), plus rapide d’accès. Par ailleurs, un écran accompagne souvent l’ordinateur afin qu’il puisse nous montrer un flux visuel. Beaucoup d’ordinateurs personnels sont également dotés d’une carte graphique (GPU) qui soulage le CPU pour les calculs liés à l’affichage, ce qui en fait un outil d’autant plus intéressant pour les artistes.
Ce sont les composants principaux, mais la liste est non-exhaustive ; d’autant plus que l’architecture d’un ordinateur est modulaire. Effectivement, on peut facilement ajouter ou remplacer des composants en fonction de nos nécessités (internet, WiFi, lecteur optique, etc.). Toutefois, il faut veiller à la compatibilité des composants, à leur bon branchement et à bien réguler leur température. Par ailleurs, on peut également connecter un nombre phénoménal de périphériques externes comme des enceintes, une imprimante, un scanneur, une clef USB, ou même un chauffe-tasse ou un lance-missile miniature.
- Voir l’Histoire des ordinateurs sur Wikipedia ↩
Un Système Binaire
Le monde numérique repose donc sur un ensemble de composants électroniques hiérarchisés de manière stricte. C’est une architecture complexe comportant de milliers de composants dans laquelle peuvent circuler des signaux électriques. Leur agencement et leur conductivité (électrique) permettent de transmettre des signaux, comme le fait notre cerveau avec son réseau de neurones. Pour ce, on utilise des conducteurs, mais également des semi-conducteurs ; sans eux un ordinateur n’existerait sûrement pas. Ces signaux électriques, n’ont que deux valeurs possibles : 0 ou 1, true ou false, tout ou rien. Contrairement au domaine de l’électrique analogique, si un message se trouve entre les valeurs minimales et maximales, il est automatiquement interprété comme 0 ou 1. En fait, il n’y a même pas de valeur ; c’est soit un signal négatif, soit un signal positif. C’est un système binaire.
Ce qui est remarquable à ce niveau c’est qu’on est parvenu à structurer les signaux de telle façon qu’ils répondent à une logique très mécanique et organisée. Des comportements très basiques émergent alors et permettent d’enclencher d’autres mécanismes, créant à leur tout des comportements plus complexes et ainsi de suite. On peut notamment retrouver des opérateurs logiques et des logiques synaptiques, similaires à notre activité cérébrale.
Langage Machine
Le domaine du numérique est le flux constant d’informations de l’ensemble des connexions électriques de tous les composants connectés. L’ensemble de tous les signaux n’indique donc qu’un état insignifiant, mais leur flux et la façon dont ils évoluent dans le temps peut prendre tout un sens autre. C’est alors qu’on peut parler d’écriture et de langage machine ; il s’agit du langage binaire. C’est pour nous un langage très difficile à utiliser, mais on a réussi à faire abstraction de cela en inventant les compilateurs.
Un compilateur se base sur un langage codifié qu’il est capable de convertir en code machine. Ce « code » fait abstraction de ce langage binaire pour laisser place à un langage utilisable par l’homme. C’est donc une sorte de traducteur entre l’homme et la machine qui ne comprend que le langage binaire. Le programmeur écrit un code source qu’il traduit en binaire pour une machine spécifique. Ses comportements sont alors composés et préprogrammés. Il existe également des interpréteurs, similaires aux compilateurs, mais apprenant à la machine à interpréter un autre langage. Dans les deux cas, il y a question d’interprétation et de langage. Contrairement aux langues vivantes, ce langage codifié est, comme son support physique, très strict, et ne laisse pas place à l’aléatoire (à moins qu’on lui apprenne). Il existe en plusieurs versions plus ou moins « natives » (traduction : bas niveau). Plus elles sont avancées et faciles à employer, plus on va trouver d’étapes de compilation et plus elles s’éloignent du langage binaire natif.
Transition
Pour conclure cette introduction théorique à l’outil numérique, j’aimerai souligner que le numérique repose donc physiquement sur un ensemble de composants électroniques fonctionnant de manière logique, mécanique et rationnelle : c’est un outil de sciences précises. Cependant, le flux d’informations qu’il produit présente d’autres caractéristiques bien plus intéressantes à mes yeux. Dans toute sa complexité, elle donne naissance à un monde virtuel, c’est-à-dire un espace numérique qu’on peut librement consulter et programmer. La partie suivante aborde la question du réel dans le numérique.
2. Virtuel et Réalité
La question du réel revient souvent dans une problématique de compréhension et appropriation de l’outil numérique ; indisponibles à la pratique artistique numérique. C’est un outil tout récent qu’on est encore constamment en train de questionner pour petit à petit apprendre à mieux le connaitre ; et peut-être qu’on arrivera un jour à débloquer son plein potentiel. Ce deuxième chapitre vise à bien situer ces questionnements et à fournir quelques réponses pour le chapitre 3 qui se consacre à la pratique artistique numérique et son caractère organique.
Le numérique est attaché au réel
L'ordinateur et son rapport au monde
On est nombreux à placer une barrière fictive entre le numérique et le réel et on associe souvent le virtuel à quelque chose de non réel. Je me demande si ça ne pourrait pas venir d’une sorte de frustration de non-compréhension face à cette « boite noire ». Ou peut-être qu’on se rattache trop au réalisme apparent (qui nous est familier) pour définir le réel ? Ou bien c’est un problème de matérialité. Ou peut-être que le numérique est apparu trop récemment pour qu’on puisse bien le comprendre et interagir avec… En tout cas, une barrière s’est installée entre l’utilisateur et la machine et on a tendance à percevoir l’univers numérique comme ‘ un monde à part ’, détaché du nôtre. Pourtant, la structure physique de l’ordinateur enclenche un processus numérique qui s’exécute en temps réel (dans la temporalité de notre réalité) sous forme d’un flux d’informations abstraites avec lequel nous pouvons toutefois interagir. On peut alors parler d’une réalité virtuelle.
À ce sujet, j’aimerai citer Douglas Edric Stanley1 :
À l’encontre des malentendus convoqués par la “réalité virtuelle” […], il faut rappeler que quand on travaille sur ordinateur, on est en permanence dans des effets de réel, quel que soit le statut de ce réel. […] le propre du système informatique est d’exécuter […] toujours en boucle — la machine informatique est sans cesse dans un effort/d’éternel retour/au réel. Elle s’efforce de fonctionner ; une absence d’impulsion ou d’exécution effective serait l’équivalent d’extinction. C’est une temporalité étrange : la machine se maintient juste en deçà du réel (elle n’est pas totalement allumée), mais toujours en relation à lui (elle produit l’effectif) — c’est sa fonction permanente de “Maintenance”. [..] Le réel est ce qui guette la machine, et dans un mouvement inverse, la machine doit rendre quelque chose en permanence au réel.
Le fonctionnement de la machine est donc physiquement dépendant du réel, mais ce qui s’y produit s’inscrit tout autant dans le réel, un réel doté de nouvelles possibilités, un ‘ réel augmenté ‘. Sa présence est toute fois liée à la mise en marche de la machine, mais le flux d’informations nous est alors humainement imperceptible et indécryptable. Notre rapport avec le monde numérique se fait alors exclusivement à travers une interface dite ‘homme-machine’. Elle permet une forme de communication quelconque entre l’utilisateur et ce monde numérique.
- Dans Nouveaux Médias, Nouveaux Langages, Nouvelles Écritures, page 52 ↩
Une fusion entre homme et machine
Les interfaces disparaissent physiquement
Traditionnellement, nos interfaces se limitent généralement à un écran, des haut-parleurs et des boutons-poussoirs et une souris. Plus récemment, on a vu apparaitre des interfaces plus avancées comme les écrans tactiles, des caméras de profondeur pouvant analyser nos gestes, des dispositifs de ‘tracking’, des écrans plus immersifs, des interfaces tangibles, etc.. Les boutons physiques disparaissent au profit de boutons dématérialisés ou notre corps devient lui-même l’interface de contrôle1. Le design d’interface est même devenu une profession à part entière. L’interface devient de moins en moins tactile et la frontière physique s’efface de mieux en mieux. Certains acteurs du mouvement de transhumanisme essayent même de se greffer des interfaces dans leur corps afin d’expérimenter d’autres interfaces. On assiste à une domestication de l’outil numérique en même temps que son interface fusionne avec nous et nos espaces physiques et virtuels.
Un outil en constante évolution
Notre relation avec le monde numérique évolue sans cesse en fonction des besoins et des progrès technologiques. Isaac Asimov le résume assez bien : « The saddest aspect of life right now is that science gathers knowledge faster than society gathers wisdom. »2. L’appropriation d’une technologie n’est qu’une question de temps, mais la suivante ne nous attend pas, elle a besoin de générer du profit. Par ailleurs, « Le futur est de retour », une émission documentaire sur Arte souligne l’importance des fantasmes futuristes de notre passé puisqu’ils alimentent directement la conception des nouvelles interfaces. Ils parlent de « Retour vers le Futur », mais c’est valable pour d’autres films comme, Matrix, Star Trek, etc.. Concernant le film Minority Report, l’émission Bits sur Arte parle de « ce plaisir gadget d’une interaction physique qui nous a fait croire qu’on devenait enfin Tom Cruise »3 . On est donc constamment dans une sorte d’équilibre entre notre habitude d’utilisation (l’appropriation de l’outil par rapport à l’ancien), la nouveauté réelle (dépendante des progrès techniques) et la nouveauté fictionnelle (basée sur l’imagination, le désir et les fantasmes).
L’homme adopte l’interface
De même, la « Troisième Révolution Industrielle », popularisée par Jeremy Rifkin, remarque qu’on n’a plus le temps de s’adapter à l’outil numérique : on l’adopte plutôt. La technologie évolue plus vite que nos capacités humaines d’adaptation. Ce mouvement place le numérique au cœur de ses enjeux et revendique que l’homme, sa culture et ses valeurs sont reconvertis ; ce qui implique une redéfinition de l’humain.
On est donc dans une période où l’homme cherche à se situer par rapport à une ‘machinerie numérique’ qui ne cesse d’évoluer. La frontière entre l’homme et la machine tend à se dissoudre, mais tant que l’évolution la technologie numérique ne cesse d’évoluer aussi rapidement, l’homme continuera à interroger ses limites à travers d’interfaces toujours plus innovantes. Je pense que cette évolution rapide des interfaces ne nous laisse pas le temps de pleinement nous approprier l’outil numérique, et on comble alors ce manque de compréhension par une dimension ‘magique’ pour arriver à l’accepter. Le numérique nous laisse rêver. J’ai hâte de découvrir les prochaines interfaces numériques !
- La Kinect de Microsoft par exemple. ↩
- Issu de Past, present, and future ↩
- Citation issue de l'émission BiTs d'Arte (S03E04) ↩
Un Contexte Numérique Fleurissant
Internet: une réalité sociale et collective
Si l’ordinateur et ses interfaces se sont beaucoup développés, c’est en partie dû à sa liaison avec Internet. Apparu peu après les premiers ordinateurs personnels, le réseau Internet s’est surtout popularisé dans les années 80-90 alors que la société venait d’être marquée par la culture hippie. De nombreuses idéologies alternatives voient alors le jour et donnèrent naissance à l’open source, le P2P, le D.I.Y., divers modèles de licences libres, etc. qui partagent la même idéologie prônant la création ouverte et collective. C’est la naissance d’une ère de création basée sur le libre partage du savoir-faire. En effet, connecté à Internet, le monde numérique prend un caractère social et constitue une communauté interconnectée où il devient un jeu d’enfant de dupliquer, modifier, repartager, remixer, etc. la création d’autrui. Et ce modèle est d’autant plus facile à appliquer dans le domaine de la programmation où l’outil numérique permet d’infiniment dupliquer ce contenu intellectuel sans aucune restriction matérielle. Chacun apporte les modifications qu’il veut et les repartage. C’est un gain de temps énorme qui a aujourd’hui permis de voir fleurir de nombreux logiciels, cadriciels1, I.D.E. et autres projets tout aussi libres qu’innovants. De plus, avec la standardisation, la création numérique devient un jeu d’assemblage de pièces modulaires co-créées et pré fabriqués qu’on n’a plus qu’à agencer à notre sauce. Ce qui dans le passé demandait énormément d’efforts et de main d’œuvre est aujourd’hui créé collectivement ce qui donne une base de données mondiale et gigantesque.
Action Virtuelle et Action Réelle
Mais cette réalité sociale d’internet n’est pas que purement virtuelle ; elle prend effectivement sa réalité dans notre quotidien. C’est ce qui permet le crowdfunding (concrétisant des projets réels), les cryptomonnaies (monnaie alternative), les fab-labs (espaces de fabrication locaux), hackerspaces (espaces de bidouille locaux), encyclopédies collaboratives (partage du savoir), etc. Toutes ces pratiques réelles dépendent du numérique, mais s’inscrivent dans l’action réelle. Au travers de ses différentes applications, le numérique, nous régule et une grande partie de notre réalité repose sur lui. C’est un outil universel qui a permis le développement de nombreux projets libres d’utilité collective, voire d’utilité publique.
Outils Artistiques Numériques
Dans le domaine artistique, il a fallu un peu plus de temps pour que des outils spécifiques à une utilisation artistique se mettent en place. Une tournure importante a eu lieu avec la publication de Design by Numbers en 1999 qui influença Casey Reas et Ben Fry à créer Processing en 2001, un outil de création graphique numérique facile à utiliser : le code, un bouton ‘play’ et c’est parti pour créer ! Cela a ensuite donné naissance à des projets comme OpenFrameworks, libCinder, vvvv, qui permettent chacun de travailler l’image en introduisant le code comme matière plastique. D’autres I.D.E. comme PureData, permettent de travailler le son alors que des projets comme Arduino, Pinguino, RaspberryPi ouvrent la voie à la programmation électronique.
En fait, je pense qu’il existe des plateformes de développement approprié à presque toutes les disciplines artistiques. Autant dire que la mallette d’outils de création numérique est plus que bien remplie ! L’ordinateur n’est pas qu’une simple utilité, c’est une sorte d’outil qui s’adapte et qui évolue infiniment ; c’est un moyen.
Par ailleurs, la montée en popularité de l’outil numérique l’a mené à un modèle de commercialisation en masse ; ce qui a permis de drastiquement réduire les prix de fabrication et de le rendre plus abordable. L’outil numérique est devenu beaucoup plus accessible et n’est plus réservé à une élite ; ce qui fait que plus d’artistes s’emparent potentiellement de l’outil.
- Traduction en anglais : frameworks ↩
La course vers le réalisme apparent
Les deux parties suivantes abordent la question de l’esthétique produite par le numérique. D’une part, on trouve un réalisme apparent alors que d’autre part on trouve un réalisme mécanique et fonctionnel.
Les Shaders
Comme expliqué précédemment, le développement de l’ordinateur a surtout été financé par la science, essentiellement dans le domaine médical et militaire, et plus récemment pour les particuliers également. Divers normes et standards existent, mais un des plus influents est celui de l’unité de traitement graphique (G.P.U.) sur laquelle les développeurs de logiciels peuvent téléverser des ‘ shaders ’, des programmes indépendants qui permettent de soulager le processeur (C.P.U.) pour les tâches graphiques. C’est un protocole universel massivement utilisé pour gérer l’affichage dont les principaux acteurs du marché sont OpenGL et DirectX. Les shaders ont principalement été développés pour nous assister dans la vie quotidienne. Pour cela, ils reprennent l’apparence de notre monde. Ainsi, ils nous donnent (entre autres) accès à un environnement 3D virtuel dans lequel on peut placer des matériaux (souvent préfabriqués) et des lumières de tous types. Une caméra peut alors automatiquement transformer cette scène en image, sans avoir à gérer les ombres, le relief, les distorsions de perspective, du point de vue, de la déformation de l’objectif, etc. Il ya même des fonctions d’émulation de physiques réalistes, comme la gravité, la mouvance de l’eau, les explosions, la fumée, le brouillard, etc. De nombreuses tâches ont été simplifiées afin de produire plus rapidement, mais à quel prix ? En conséquence, il y a une forte canalisation de la création qui crée une certaine ressemblance apparente dans tous les jeux.
Réalisme dans les jeux vidéos
Toujours fidèles à notre image de l’apparence réelle, les jeux vidéo sont les premiers à être affectés par ce phénomène de standardisation. Notamment sur consoles de salon, les plus populaires sont tous des jeux de simulation : course, simulation de guerre, stratégie, etc.). Des jeux comme Second Life et Grand Theft Auto recréent un monde virtuel où chaque joueur dispose de son avatar dans le jeu et influence le cours de tous les autres joueurs. Second Life est tellement semblable au réel, sans apporter d’éléments fictifs, que certains en critiquent sa jouabilité. Il y a même toute cette catégorie de jeux ‘ tycoon ’ dans lesquels l’on peut incarner un chauffeur de bus de ville, un fermier, un chauffeur de camion, une chèvre, etc. Ces jeux sont de la simulation pure et dure. Cependant (et c’est là où ça devient intéressant), certains jeux sont plus fantastiques que d’autres et incluent une réalité imaginaire. Leur univers est alors un mélange du réel (tel que nous le comprenons) et d’une réalité fantastique. On peut alors dire que le numérique est une plateforme de jonction entre plusieurs réalités ; qu’elles soient fictives ou réelles.
Réalisme de mouvement
Il y a donc une grande part de réalité apparente dans notre monde virtuel ; mais ce n’est pas qu’à travers l’apparence. Dans Vol de Rève, Philippe Bergeron ne disposait en 1982 pas encore de ces fonctionnalités figuratives dont on dispose aujourd’hui, mais il accordait déjà une grande importance au réalisme des mouvements. Dans cette vidéo, le protagoniste lance une pierre dans l’eau ce qui crée des ondes représentées de façon minimaliste par des cercles, mais c’est leur animation dans le temps qui donne une impression de réalisme. Cependant, dés qu’on se détache du réalisme, il devient très obscur de manipuler ces fonctions puisqu’elles n’ont pas été conçues pour cet usage. Je me retrouve souvent face à des documentations scientifiques obscures lorsque je code mes œuvres, et cela devient un réel art de les déchiffrer ! Heureusement, des améliorations importantes sont en cours et de plus en plus d’artistes documentent l’usage artistique de ces outils, rendant leur utilisation moins obscure.
Art et Mathématiques
La pratique de l’art numérique suscite donc un certain engouement pour des questionnements sur la réalité, qui passe souvent par une approche mathématique. Mais cette caractéristique n’est pas propre à l’art numérique. L’art, de manière générale, s’inscrit dans le réel puis que c’est ce qui nous définit ainsi que notre environnement.
De nombreux artistes se sont d’ailleurs interrogés sur le réel au travers les mathématiques. Je pense notamment aux travaux Da Vinci et autres artistes de la Renaissance, essayant de traduire l’Univers sous forme d’équations mathématiques (géométrie, nombre d’or, anatomie, astronomie, etc.). Leurs recherches nous ont aujourd’hui appris de la représentation 3D sur un espace 2D. Les artistes ont donc, dans une certaine mesure, un rôle de chercheur scientifique. Même Pythagoras rationalisait déjà l’univers en établissant des relations. La devise de son école disait « All is number », ajoutant une dimension mystique et religieuse en substituant Dieu par les nombres, mais cela démontre bien son état d’esprit. En tout cas, de nombreux artistes, philosophes et scientifiques s’emparent du réel au travers de la logique mathématique et semblent d’accord sur le fait que le monde est régi par des nombres.
L’art s’est toujours mêlé à la science, mais la pratique de l’art numérique oblige à s’intéresser à la science. L’ordinateur est alors une passerelle entre l’art et la science, c’est une zone d’expérimentation. Grant D. Taylor compare les artistes numériques à des Da Vinci modernes dans le sens où ils nécessitent une phase d’apprentissage culturel et scientifique ainsi qu’une curiosité et un enthousiasme personnels avant de pouvoir créer. Il compare d’ailleurs les années 70 une sorte de Renaissance moderne et numérique. Aujourd’hui, je pense qu’on est en train de sortir de cette période bien qu’une recherche de réalité numérique persiste. D’un côté, les longs métrages récents montrent qu’on arrive à générer des scènes d’une réalité impressionnante. D’un autre côté, le rendu en temps réel est beaucoup moins fidèle et pourrait encore être amélioré. Va-t-on vers une période d’hyperréalisme moderne ? J’espère personnellement qu’on arrivera à se détacher de cette faim de réalisme.
Artists, once adverse to computers, began enthusiastically exploring the computer as an art-making device.
- Grant D. Taylor
L’art numérique repose sur le virtuel. Or, fidèle à notre réalité, l’univers virtuel est façonné par l’apparence du réel. L’univers virtuel reflète donc le réel et un réalisme apparent s’y installe.
Abstraction Naturelle
Le Biomimétisme
La nature présente un vaste écosystème qui s’est crée il y a 3,8 milliards d’années. Depuis, elle s’est ajustée et a développé diverses espèces animales et végétales ayant chacune leurs fonctionnalités de survie tout en contribuant à un écosystème plus vaste. Naturellement, l’homme s’est tourné vers cette source d’inspiration abondante, pour des questions tant formelles que fonctionnelles. Il s’agit d’observer un phénomène biophysique, d’admirer la perfection de la nature et de l’imiter. C’est une forme d’extraction de connaissance de la nature.
Cependant, si l’on se réfère à la Théorie darwinienne, la question d’esthétique n’existe pas dans la nature : toute forme fait sens et permet la survie de l’espèce. Autrement dit, sans fonction, il n’y a pas de forme, et sans forme il n’y a pas de fonction. Sa survie dépend alors de sa capacité d’adaptation, et de sa qualité d’innovation. Durant des milliards d’années d’évolution généalogique, un écosystème complexe persiste, habité de formes de vie très diverses. En tant qu’humains, nous apprécions toutefois l’esthétique d’une fleur, d’un paysage, d’un cristal, etc.. Je n’aborderai pas davantage cette relation entre l’esthétique et le fonctionnel qu’on trouve dans la nature, mais il est intéressant de noter que l’humain attache effectivement un critère de beauté à la nature. Ernst Haeckel a illustré de nombreuses créatures de la faune et flore aquatique marine de manière à faire ressortir les motifs et répétitions esthétiques.
Il ne s’agit pas d’imiter la nature mais de travailler comme elle.
- P. Picasso
La vie existe sur cette Terre depuis 3 milliards huit-cent millions d’années, elle a eu le temps de s’y adapter au mieux.
- Janine Benyus, citation issue de Le biomimétisme : Naturellement Génial
Réalisme Fonctionnel
Le biomimétisme s’applique d’ailleurs à de nombreux secteurs comme le design, l’architecture, l’aviation, etc. et également le numérique. Cette pratique a sûrement joué un rôle important dans le développement de l’ordinateur. J’ai précédemment expliqué en quoi l’on reproduit l’apparence du réel pour l’inclure dans le monde numérique ; mais le numérique suscite également un intérêt pour un réalisme fonctionnel. On a effectivement créé des ‘abstractions’ de phénomènes naturels qu’on a ensuite codifiés en langage machine pour le reproduire virtuellement. Ainsi, nos fichiers sont par exemple organisés dans une structure en arborescence, l’architecture de l’ordinateur est calquée sur celui du cerveau humain, on s’est inspiré du comportement synaptique, on retrouve des itérations, etc. L’ordinateur reproduit non pas une apparence, mais le fonctionnement d’un système, un algorithme ou une logique issu du domaine naturel.
L’avantage de comprendre le fonctionnement ‘interne’ d’une composante de la nature permet également de l’ajuster et de l’améliorer pour qu’il convienne à nos usages. L’ordinateur est une sorte de copie mutée d’une petite partie de la Nature réelle. Bien que l’ordinateur (à l’échelle individuelle) ne présente pas un écosystème aussi vaste que la Nature, on pourrait comparer le numérique à une sorte nature mathématique expérimentale dans laquelle les créatures n’évoluent pas selon un critère de survie durable, mais plutôt selon un critère d’utilité humaine.
Art et Biomimétisme
Décrire le comportement naturel à travers l’art n’est pas une pratique nouvelle ; de nombreux artistes ont conscience de la complexité parfaite de la nature. Da Vinci réalisait des dessins de cours d’eau pour analyser les lois physiques qui l’animent. Gaudi essayait d'imaginer comment la nature s'y prendrait si elle devait créer à sa place. Rembrandt dissequait le corps humain pour mieux connaitre l’anatomie interne du corps et découvrir son fonctionnement. La curiosité de l’artiste et sa capacité à s’intéresser à des systèmes complexes sont sûrement ce qui l’emmène régulièrement à observer la Nature et les phénomènes physiques et chimiques. Le mouvement d’Art Nouveau joue abondement sur les motifs floraux et s’inspire de la nature pour volontairement se détacher des formes trop rectilignes et angulaires dans un but ergonomique et esthétique. Jurgis Baltrusaitis se réapproprie l'esthétique des « pierres imagées » pour la romancer et « faire découvrir une seconde vue des choses intelligibles ». Les artistes s’emparent donc du biomimétisme, essentiellement pour des fins formelles et esthétiques. Ils ont la capacité à décrypter la réalité et nous la donner à voir dans un autre contexte en modifiant certaines règles empruntées à la Nature avec d’autres règles plus fictives. Le tout forme un discours artistique.
Il est intéressant de noter que le biomimétisme ne s’applique pas uniquement à l’art numérique. Burri, par exemple, est tout à fait dans cette démarche-là. Dans la série Cretti, il a analysé le phénomène de craquellement naturel pour pouvoir l’accentuer jusqu’à obtenir une image satisfaisante. Il a également développé une technique de modelage pour figer le volume dans le temps, et le rendre de couleur unie afin d’accentuer le relief. À la manière des artistes numériques, il a utilisé un phénomène naturel à des fins artistiques.
He encouraged the ground to fissure in patterns and helter-skelter episodes over a period of hours or days, depending on the amounts of water and binder in the admixture and the thickness of its application. In some respects the Cretti are self-making artworks that “perform” their compositions as they dry.
- Le musée Guggenheim à propos d’Alberto Burri.
It’s a virtual form but [it] has biological characteristics.
- William Latham, TEDx Oxford.
The natural world is fantasticly rich.
- William Latham, TEDx Oxford.
Capacité de simulation
En revanche, le numérique permet de le reproduire en fonction du temps (ou autres paramètres). Il ne s’agit alors plus de reproduire le résultat final d’un comportement, mais de le reproduire dans son intégrité fonctionnelle. Pour cela, il faut cependant en connaitre l’équation ou l’algorithme se cachant derrière ce que l’on perçoit. Contrairement à la Nature organique, l’art numérique n’a pas eu 13.8 milliards d’années d’évolution. Cependant, cette nature virtuelle a su progresser plus vite en copiant des systèmes simples existants chez les organismes et phénomènes naturels. C’est comme une forme de tricherie dans le modèle de l’évolution darwinienne.
On a aujourd’hui identifié une base de données considérable d’abstractions naturelles mécaniques. Les projets artistiques dans mes références témoignent de cette variété.
Transition
Les caractéristiques esthétiques et mécaniques, choisies pour des raisons fonctionnelles et plastiques fortes, sont empruntées à la nature avant d’être simplifiées, modifiées et remixées par l’artiste. À l’aide d’abstractions, le numérique lui permet de traduire le monde vivant dans toute sa vivacité, son dynamisme et, dans une certaine mesure, sa complexité.
Personnellement je suis toujours en admiration devant cette complexité naturelle toujours croissante à nos yeux. Face à cette base de connaissances en constante évolution, je ressens une certaine sagacité ou une sorte de dimension mystique qui me pousse continuellement à explorer davantage ce domaine. Il y a encore beaucoup de merveilles esthétiques et/ou fonctionnelles à découvrir ; et encore plus à exploiter.
This encompasses both a new process of knowledge and a new practice, allowing for the creation of “abstracts” rather than abstractions —abstract models. It entails a whole hybrid esthetics, with models that may be borrowed from biology and brain sciences, altering the relationship between art and science and art and nature. But image-making is also “globalized,” challenging borders and certain geographical separations, for example, between the east and the west, with all of its Orientalist notions. A vast intersection of practices is now shattering old metaphysical dualisms and institutional logic.
- Buci-Glucksmann, Christine, Interview par Emanuele Quinz : For an Esthetics of the Ephemeral, http://www.hybrid.univ-paris8.fr/lodel/index.php?id=314&lang=pt, consulté le 11-10-2015
Comment d’une simplicité aussi radicale et rationnelle peuvent émerger des fonctionnements plus complexes ?
Le virtuel infini
Introduction
La partie précédente constate que l’art numérique reflète la Nature, tant par son apparence que par son mécanisme interne. Cependant, il ne se limite absolument pas au réel. Les artistes numériques se réapproprient les lois du réel et ajoutent une couche de fiction relevant des domaines de l’imaginaire, de l’émotionnel et du cognitif ; d’autant plus que rien ne les oblige à respecter la réalité dans un travail artistique virtuel ou numérique. Il se détache donc également du réel. Cette partie soulève quelques pratiques intéressantes qui ont émergé dans le domaine numérique.
Riccardo Garcia m’a raconté une petite anecdote sur l’évolution de l’utilisation du plastique. Dans un premier temps, on a beaucoup imité des matières réelles telles que le bois et le cuir. C’est dans un second temps que la manufacture du plastique s’est détachée du réel pour produire des objets plus fantastiques. Je pense qu’il s’agit d’un temps d’adaptation nécessaire à explorer un domaine donné. Or, le numérique est bien plus vaste qu’une simple série de molécules qu’est le plastique.
Il ne s’agit plus tant de reproduire le réel que de le produire.
- François Dagognet, issu de l'Éloge de la simulation.
Un modèle en évolution constante
La Nature est un modèle en constante évolution, voué à s’adapter au contexte spatiotemporel de manière durable, voire infinie. L’art numérique doit son existence à ce modèle, et constitue un modèle similaire puisque lui même peut aussi évoluer et s’adapter. Avec ses capacités d’auto-organisation, je me demande si cette nature virtuelle sera capable de s’autoreproduire, comme le fait la Nature, et prendre un nombre illimité d’états non définis à l’avance. Ce n’est actuellement pas le cas puisqu’elle nécessite l’intelligence humaine pour se déployer. Il peut s’adapter dans une certaine mesure à des variables connues, mais ne peut pas encore s’adapter à des composantes nouvelles, et il nécessite d’être recompilé ; mais peut-être qu’un jour on devra passer par une phase d’éducation avant d’utiliser nos ordinateurs personnels.
Nature Virtuelle
Dans une optique plus fantastique, on pourrait comparer le numérique à une nature virtuelle et artificielle puisqu’il est en partie fondé sur la Nature organique. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’évolution darwinienne et sa sélection naturelle ont une nouvelle branche qui se poursuit dans un monde virtuel, mais on dirait qu’une sorte d’artificialité se détachant de la création humaine est en train d’y émerger avec tous ces mécanismes issus la Nature organique. Loin d’être autonome, le code informatique recrée, à l’aide d’algorithmes, des comportements qui ne sont que prédictibles.
Cependant, avec le partage du savoir à l’échelle mondiale, il devient possible de reproduire des systèmes sans forcément les comprendre puisqu’ils ont été écrits par autrui. On peut alors analyser leur comportement de la même manière qu’un artiste ou un chercheur s’intéresse à la Nature. Certes c’est un domaine artificiel, produit par l’homme, mais ce n’est pas pour autant qu’il nous est familier à l’échelle individuelle.
Approaching and extending nature
- Anna Ursyn, citation tirée de Nature Related Computerkunst.
My ‘god’ feeling is that we’re probably gonna re-design nature
William Latham, à propos du rôle ‘dieu’ de l’artiste.
On pourrait comparer chaque logiciel codé comme l’apparition d’une nouvelle espèce dont la durée de vie dépend de sa popularité dans le monde non virtuel et donc de comment il va évoluer avec ce dernier. L'oeuvre Malwarez d'Alex Dragulescu illustre très bien ce propos.
Simuler
Écritures Dynamiques
Comme tout langage, le numérique permet l’expression à travers l’écriture. On peut alors comparer n’importe quelle application à une forme de narration. Il permet alors de décrire un état dynamique, et donc de décrire et mettre en œuvre un comportement. Le numérique a une capacité de simulation, et c’est une de ses grandes forces créatives. Rien n’oblige les artistes à respecter la réalité dans un travail artistique virtuel ou numérique.
Apparition de nouveaux langages [… ,] de nouveaux espaces de signification et d’échange.
- Colette Tron, Nouveaux Médias, Nouveaux Langages, Nouvelles Écritures.
L’écriture vient se déployer, avec sa puissance particulière d’affirmation sonore et fictionnelle, dans la constitution de l’écrit. Alors, la langue n’a plus pour fonction la communication, elle ne s’effacce plus devant le message, elle n’en est plus le simple véhicule. Elle fait l’objet d’une pensée, elle engage des choix.
- Jean Cristofol, Nouveaux Médias, Nouveaux Langages, Nouvelles Écritures.
La Simulation
Pour qu’une simulation puisse avoir lieu, il faut d’abord décrire l’état dynamique, ce qui implique d’utiliser un langage. François Dagognet nous rappelle que la langue humaine est imprécise et qu’il préfère le langage mathématique, plus objectif et libre. Il fait alors référence à l’univers ‘mathématico-sensible’ en rappelant que le langage est la représentation de la pensée.
Le numérique permet de simuler, c’est-à-dire de mettre en place des univers dont chacun définit tout un tas de règles et lois, créant une réalité virtuelle. Une multitude d’algorithmes — règles — ont été traduits en langage machine. Si on veut parvenir à recréer des phénomènes réels, il nous faudra d’abord mieux les connaitre. Mais rien ne nous empêche de créer librement des univers virtuels dont la seule limite est la puissance de calcul et notre moyen de le percevoir.
Une complexité toujours croissante
Comportement Artificiel
Emmanuel Kant disait « La Nature agit, l’Homme fait. », mais on pourrait également dire ‘La nature agit, l’ordinateur fait’. Selon moi, la différence entre ‘faire’ et ‘agir’ réside dans la responsabilité impliquée ; ou du moins, il a question de volonté contrairement à ‘faire’ qui ne renvoie qu’à l’action pure et dure. Aujourd’hui, l’ordinateur ‘fait’ ce qu’on lui a instruit alors que « la Nature agit ». Mais si le numérique est basé sur l’organique, ne pourrait-on pas s’attendre à ce que ce modèle dispose un jour de capacités de réflexion permettant de prendre des responsabilités ? IBM essaye de résoudre ce problème en s’intéressant de plus près à notre cerveau. Ses chercheurs ont remarqué que la partie gauche de notre cerveau fonctionne comme un ordinateur traditionnel : il se focalise sur le langage et l’analyse alors que la partie droite nous sert à faire sens et à mettre en relation plusieurs sujets. Ils répondent avec une « intelligence de calcul holistique »1 qui donnerait à nos ordinateurs la capacité de la partie droite de notre cerveau.
Apprentissage Machine
Au sujet de l’apprentissage machine2, il s’agit d’une branche activement développée en ce moment. Elle semble en tout cas s’orienter sur l’apprentissage de relations quelconques dans une base de données perceptible gigantesque. Accompagnée d’une fonction permettant de déterminer la pertinence de ces relations, elle résout par un nombre phénoménal de tentatives, et valorise la meilleure solution. C’est une méthode relativement brutale et gourmande en énergie qui me rappelle le ‘brute-force’, une technique de résolution de problèmes qui consiste à systématiquement tester chaque candidat possible et d’en évaluer sa pertinence.
Par exemple, Google Deep Dream est un algorithme qui simule un réseau de neurones. Il peut analyser une série d’images comportant toutes le même sujet. Les neurones apprennent alors les relations visuelles statistiques dans l’image pour par exemple repérer de nouvelles images contenant le même sujet. Mieux encore, il peut renforcer graphiquement l’apparence du sujet dans l’image, voire même le faire apparaitre là où il n’existe pas dans l’image. Le résultat graphique est pour le moins impressionnant.
IBM a travaillé sur le même processus, mais en inventant une nouvelle architecture d’ordinateur, encore plus semblable à celle du cerveau humain, ce qui optimise la consommation énergétique par rapport à l’approche algorithmique de Google.
Dans une série d’articles sur des intelligences artificielles pouvant modifier leur code source3, Kory Becker parvient à créer un programme informatique capable de changer son comportement algorithmique jusque résoudre un problème très simple ; mais il est cependant obligé de garder une certaine base identique, non mutable, dont dépend la partie mutable.
À mon avis, ces méthodes d’apprentissage par analyse massive sont une découverte d’importance qui trouvera des applications, mais auront leurs restrictions. La nature aurait utilisé un moyen plus simple pour résoudre ces problèmes dans un souci d’efficacité et d’économie d’énergie.
Enchaîner, combiner et imbriquer
Le modèle de production collectif mis en place grâce à internet fonctionne puisque le code informatique est très adapté au partage. Des plateformes de collaboration sophistiquées existent (GitHub, SVN, Google Code, etc.). La programmation orientée objet a facilité l’agencement en ‘briques de code’ qui, une fois partagées à l’échelle mondiale, permettent de facilement les agencer de façon modulaire et ainsi de créer plus rapidement.
Complexité x Complexité = Complexité²
D’une part ces briques de code s’accumulent et se démultiplient ; des blocs de nature organique ou artificielle. La décomposition de notre réalité en ‘blocs’ nous a permis de mieux la comprendre et de mieux y évoluer, ainsi que cela nous a permis d’explorer des espaces numériques inconnus, mais nous avons encore du mal à comprendre l’intégralité de son fonctionnement et il reste énormément de terrain inexploré. À mon avis il y a encore un potentiel énorme.
D’autre part, ces parts de logiciels deviennent de plus en plus élaborées et ils gagnent en autonomie. Cela nous mène à une complexification de l’espace numérique et ses comportements cognitifs face à laquelle une perte de contrôle consciente ou inconsciente se produit. On apprend les machines à apprendre, on leur fait exécuter des tâches intensément répétitives, on combine des comportements pour en créer d’autres, etc. Il devient parfois alors difficile de prévoir le résultat, et le chaos des nombres peut mener à de nouvelles relations esthétiques. C’est en ce sens que la pratique de l’art numérique prend une tournure expérimentale.
La mise en place de ces systèmes, bien que très complexes, nous fait bénéficier de capacités d’adaptation et d’exécution phénoménales. Par sa capacité d’adaptation, j’entends sa rapidité de prototypage permise par son écriture simple et logique. Sa rapidité d’exécution permet ensuite de très rapidement simuler un ensemble de règles puis de les mettre en œuvre.
- Neural Networks [ McCulloch & Pitt ] [Google’s Deep Dream]
- Google Research Team: Inceptionism: Going Deeper into Neural Networks
- Neuron networks
- Traduction de l’anglais: «holistic computing intelligence» extrait de research.ibm.com. ↩
- Traduction de l'anglais : machine learning. ↩
- Becker, Kory, Using Artificial Intelligence to Write Self-Modifying/Improving Programs, http://www.primaryobjects.com/2013/01/27/using-artificial-intelligence-to-write-self-modifying-improving-programs/, consulté le 3-10-2015. ↩
Transition
Transition
Le numérique est donc à la fois très attaché à la réalité, mais il peut également complètement s’en détacher. L’artiste peut donc librement recopier la réalité comme il peut la distordre ou exposer le spectateur à un univers complètement autre.
Une multiplicité d’algorithmes complexes créant chacun une réalité virtuelle évoluant, pour l’instant, de manière artificielle. Pourrait-on parler de la naissance d’une nouvelle science virtuelle? Une science qui analyse la complexité crée par l’homme afin de mieux la comprendre ? Nouvelle approche de la réalité ? Une réalité augmentée ? Ce sont tout un tas de questions parmi d’autres qui alimentent la création artistique numérique, c’est la thématique abordée dans le troisième chapitre.
3. L’artiste Numérique
Si l’art numérique reproduit le réel comme il peut également s’en détacher complètement, comment cela influence-t-il sa pratique ? Comment les artistes s’emparent-ils de cette nouvelle dimension ?
Son compagnon de création: l’ordinateur
L’ordinateur pour un artiste numérique est aussi indispensable que la peinture pour un peintre. Plus qu’un simple outil, l’artiste numérique configure sa machine et il lui instruit sa méthode de travail afin d’optimiser son flux de travail. C’est son compagnon de création.
On dit que l’ordinateur est un super-cerveau-calculateur rationnel dépourvu de toute sensibilité. De plus, leur capacité de calcul devrait bientôt dépasser celle de l’être humain. En revanche, l’artiste est doté d’autres capacités que l’ordinateur n’a pas. Alors, une relation intéressante s’installe entre l’artiste et son outil.
Software is a tool for the mind. While the industrial revolution produced tools to augment the body, […] the information revolution is producing tools to extend the intellect.
L'utilité du numérique
Claude Elwood Shannon a réalisé une œuvre qui mérite d’être citée. The Ultimate Machine est une simple boite dotée d’un interrupteur que beaucoup surnomment « La Machine Inutile ». Effectivement, un bras robotique sort de la boite pour l’éteindre dès qu’on l’enclenche ; c’est tout. Cela laisse réfléchir à l’utilité du numérique. Le numérique est-il une révolution ou est-il un simple gadget ?
Interfaces canalisatrices
On trouve de nos jours beaucoup de logiciels dotés d’une interface graphique (Photoshop, Blender, 3DsMax, After Effects, etc.). Conçues pour être efficaces et utiles, elles permettent de gagner du temps en prémâchant tout un tas d’actions, facilitant ainsi un certain nombre de tâches. De même, les cadriciels font la même chose, mais sans proposer d’interface graphique. En conséquence, ces logiciels se limitent à un certain nombre de tâches préprogrammées par autrui, canalisant ainsi le travail de l’artiste. Comme l’ordinateur, le flux de travail de l’artiste se mécanise. Le travail de l’artiste se joue alors autour de la prise de liberté et le détachement de cette esthétique par défaut par un travail de ré-appropriation et d'exploration des possibilités.
La plasticité du code
En revanche, je pense que l’artiste qui pratique directement le code peut pleinement s’approprier l’environnement numérique. Pour moi, le code permet de révéler le numérique dans toute sa plasticité. Ainsi, il est libre de réaliser ce qu’il veut en échange d’un temps de réalisation accru. Ce sont deux cas extrêmes entre lesquels l’artiste doit se positionner en trouvant le bon équilibre entre l’efficience canalisée offerte par les outils mis à disposition et la prise liberté qui requiert d’établir une communication en langage machine. Ce critère pourrait sous-diviser la pratique de l’art numérique en deux grosses parties.
The computer is a material, not a tool.
- John Maeda, Tweet du 27 janvier 2014.
Artiste Traducteur
Pour instruire l’ordinateur, l’artiste doit communiquer en langage machine qui nécessite une phase d’apprentissage. Dans un premier temps, il s’agit de l’apprentissage d’un langage spécifique à nos besoins comme le HTML, Java, PHP, C++, C#, etc.. Puis ils se combinent avec d’autres langages, puis on en apprend d’autres, et plus on en apprend, plus l’apprentissage s’accélère. Apprendre un nouveau langage de programmation, c’est comme apprendre un autre dialecte d’une langue. Certaines syntaxes et fonctions changent, mais la logique qui se cache derrière reste la même : celle de la logique cognitive et rationnelle des ordinateurs. Programmer devient alors plutôt une façon de penser l’information et les structures au travers d’un langage codifié. L’artiste est alors une sorte de traducteur entre le langage sensible et le langage machine. Plus il pratique, plus il se familiarise avec ce langage, et mieux il arrive à communiquer avec la machine.
But using software is not only about increasing our ability to work with large volumes of information; it also encourages new and different ways of thinking.
The computer becomes your creative partner.
- William Latham à propos de la relation homme-machine.
Interroger les limites
Le chapitre précédent constate que l’art numérique regroupe à la fois des éléments du réel et des éléments plus fictifs. Or, ces deux univers plutôt contraires et elles forment une dualité, d’une part entre le physique et le virtuel, d’autre part entre l’artificiel et l’organique. La capacité du numérique de s’inscrire dans ces deux extrêmes et de les confronter mène de nombreux artistes à se questionner sur les limites de l’espace virtuel et de l’espace physique, mais également sur la frontière entre l’artificiel et l’organique. Ces deux dualités sont souvent associées, mais pas toujours. Le numérique permet d’interroger ces limites et de repenser les frontières. Par ailleurs, cette frontière peut être très stricte comme elle peut être imperceptible.
Notre réalité
Escher avait bien compris que la représentation visuelle permet de reproduire la réalité, mais également de jouer avec ses limites et ainsi de perturber le spectateur. Ses nombreux dessins d’illusions témoignent de sa volonté d’interroger le réel en déplaçant la frontière de la réalité. Certains artistes s’emparent de ce même enjeu, mais avec l’outil numérique. William Latham déstabilise par exemple le spectateur et remixant la réalité avec l’imaginaire. À travers une retranscription autre de la réalité (plus approfondie, autre point de vue, modifié, isolé, exagéré, etc.) les artistes nous donnent une autre perception de notre monde, nous permettant de prendre un certain recul.
What I’m doing is stealing what I want from the Natural World. Maybe Geometry, simplifying it and then re-implant it in software, so the idea is that the viewer sees their own content in the imagery.
- William Latham, Mutator 1+2.
Iñigo Quilez travaille par exemple sur la réalité du monde virtuel. Dans certaines œuvres comme ‘Elevated’, ‘Clouds’, ‘Volcanic’ et ‘Cloudy Terrain’, il essaye de trouver une équation mathématique pour générer un terrain virtuel d’apparence terrestre et organique. Il a également travaillé sur l’empreinte digitale de l’information numérique. Plus particulièrement, il a fait des recherches sur l’efficience entre la richesse visuelle et le minimalisme quantitatif de l’information numérique. Il propose une série de scènes 3D ayant une empreinte digitale (poids du programme) de moins de 4 kb. Notre monde, se résumerait-il à une simple équation ?
I like to make the invisible visible, because […] it expands our horizons, it transforms our perception, it opens our minds and it touches our hearths. […] Who knows what waits to be seen, and what new wonders will transform our lives. We’ll just have to see.
- Louie Schwartzberg, Hidden miracles of the natural world.
Un nouvel espace de perception
L’exploration de nouveaux espaces de perception n’est pas nouvelle dans l’art. Dans son mémoire intitulé Le peintre et le Programmeur, Yann Manfrini nous fait remarquer que le suprématisme et le constructivisme jouaient déjà abondamment avec les notions d’espace virtuel, de relativité et de processus. Effectivement, ils ont défini un espace virtuel qu’ils essayent de rendre visible au travers une série d’expérimentations graphiques tout en respectant les lois qui le gouvernent.
Mark A Reynolds’s constructivism of intersecting translucent planes is created by modulating primitive shapes and lines based on proportional systems such as the golden section and square root series. Tracings of overlays, which record a process of revision over time create spatial illusions; precision cuts in space that represent an architecture of intervals. Reynolds notes that he is interested in ‘how the mind builds things, how it specifically orders space and records the development of an infinite variety of choices and structures because of the ratios and relationships inherent each system.
- Paul Prudence à propos de Mark A. Reynolds
À lire cette description du travail de Mark A. Reynolds, l’espace virtuel du constructivisme ressemble étrangement à celui qu’on connait aujourd’hui au sein de nos ordinateurs. Le concept d’espace virtuel n’est donc pas nouveau, mais l’ordinateur apporte un nouvel élément d’importance à son exploration. La puissance d’exécution combiné à l’écriture et le temps-réel ont renouvellé la recherche artstique autour des espaces virtuels.
Artificiel et organique
Matt pearson, en s’appuyant de la théorie d’Alan Watts1, distingue l’organique de l’artificiel, ou plutôt du mécanique. Il observe que l’organique prend forme par croissance (de l’intérieur vers l’extérieur) alors que le mécanique est fabriqué (souvent de l’extérieur vers l’intérieur). Il ajoute également que le fabriqué dispose d’une structure décomposable en plusieurs parties alors que alors que l’organique forme un tout qui s’autostructure.
John McCormack s’interroge sur la continuité de la nature dans le domaine numérique en la reproduisant à sa manière. Comment la nature virtuelle se compare-t-elle à la nature organique ?
What would life be like if it were made from computer algorithms rather than flesh and blood? For over a decade, artist and computer scientist Jon McCormack has produced enthralling experiences of “sublime computational poetics” with the intention of answering that question. Inspired by the science of Artificial Life, McCormack weaves a unique and complex world of computer-generated simulacra – strange and numinous spaces of rich electronic beauty and wonder that remind us of nature by their artificiality. These moving image and interactive works raise questions about real and artificial life, ecosystems, conservation values, human nature and the future of our experience of natural places.
- John McCormack, extrait de la quatrième de couverture d'Impossible Nature.
Dans Superposition, Ikeda crée également une nature virtuelle qui nous plonge dans un univers sonore et graphique minimaliste, mais très dynamique. Cela crée un fort contraste entre la richesse de l’information issue du domaine naturel et la simplicité de sa représentation graphique.
Superposition is a project about the way we understand the reality of nature on an atomic scale and is inspired by the mathematical notions of quantum mechanics.
- Ryoji Ikeda à propos de Superposition.
Dans une démarche inverse, Alexander Semenov et Daniel Stoupin explorent les fonds marins pour y photographier la faune et la flore sous-marine. Les cadrages qu’ils rapportent en surface sont surprenants puisqu’on n’a pas l’habitude de voir une faune aquatique pareille, mais elle fait bien partie de notre nature réelle. Puisqu’on n’est pas habitué à cette esthétique du réel, leurs photos nous laissent douter de la réalité des sujets photographiés. C’est tellement organique et photo-réaliste, comme en même temps cela parait artificiel, ce qui nous laisse douter de la matérialité des objets représentés. Est-ce une photo ? Un photomontage ? Un algorithme ?
Mapping
Bien qu’une grande partie du domaine numérique prend un aspect très virtuel, le ‘mapping’ offre des solutions intéressantes pour réinsérer le virtuel dans une réalité augmentée. Cette technique consiste à numériser un espace 3D physiquement réel, d’intervenir sur son clone virtuel, puis de projeter la version altérée sur l’espace réel à l’aide d’un vidéoprojecteur. Ainsi, l’espace virtuel est synchronisé avec notre espace spatiotemporel perceptible, ce qui le fusionne dans une certaine mesure avec le réel.
Particulièrement en ce moment, le mapping est très populaire ; à la fois pour un usage artistique et commercial ou les deux. Cependant, de par sa mise en pratique générale, son public a été habitué à une esthétique très digitale ce qui instaure un fort contraste entre les espaces virtuel et physique, bien que les deux sont liés par certaines relations. À partir de ce constat, j’ai utilisé une maquette miniature de l’espace physique au lieu d’utiliser un clone virtuel dans une projection mapping sur le Pavillon Vendôme. C’est un clone miniature sur lequel je suis physiquement intervenu en réutilisant son volume et les lois de la physique pour obtenir une image animée. Ainsi, le spectateur est trompé par un décalage entre ce qu’il imagine comme étant réel et la réalité. En contradiction avec l’esthétique digitale du mapping, on peut alors se demander si la projection est issue du domaine virtuel ou du domaine réel. Dans quelle mesure est-on dans le domaine numérique ?
Techno Chamanisme
Le chamanisme est une pratique ancestrale qui croit à l’existence de forces surnaturelles perçues à travers une perception étendue ou altérée. C’est un sujet très vaste que je n’approfondirai pas davantage, mais je relèverai quelques points qui m’intéressent. Étroitement lié au ‘consciousness mouvement’, le chamanisme permet d’accéder à un monde ‘autre’ duquel il ramène des messages pour construire une mythologie prônant une éthique de vie saine et responsable. Un peintre visionnaire, un chaman-peintre, traduit en langage humain ces mondes ‘autres’ tel qu’il les perçoit et interprète. C’est particulièrement cet aspect du chamanisme qui m’intéresse puisque le numérique permettrait lui aussi de traduire ces mondes.
Bien que l’art visionnaire existe depuis très longtemps, le numérique a récemment donné naissance à une nouvelle branche plus moderne : celle du technochamanisme. Ce mouvement relie des questions de chamanisme, d’anthropocène et d’art numérique et place l’ordinateur au cœur de sa pratique. Très influencés par les années psychédéliques, ils ont inévitablement fait un lien entre le potentiel du numérique et les formes naturelles perceptibles dans des états de transe ou sous influence de substances psychédéliques.
Les technochamans peignent pour répandre un mode de vie plus conscient et responsable, ils appellent à un ‘réveil collectif’ (traduction : Global Awakening). Les technochamans s’emparent donc du numérique qui peut s’adapter à leurs expériences. Wikipédia définit le Techno-Chamanisme comme suivant :
A cultural movement combining technology, electronic dance music and spiritual or religious elements.
- Wikipédia, Techno Shamanism.
Un outil transdimensionnel
Pythagore disait « All is Number; Number is God. », l’ordinateur, inventé plus de 2000 ans plus tard, pourrait démontrer sa croyance. Plus qu’une simple question de virtualité ou d’artificialité, le numérique s’adapte à de nombreuses dimensions. C’est peut-être même un langage universel pouvant simuler n’importe quelle dimension, l’infini.
Pour revenir au chamanisme, certaines pratiques ont une croyance en « la molécule de l’esprit »2 que serait la diméthyltryptamine. Il a été scientifiquement approuvé qu’on retrouve cette substance dans beaucoup d’êtres vivants (plantes, animaux, etc.) et qu’elle se produit naturellement au moment de notre naissance et notre mort. Par ailleurs un breuvage chamanique appelé Ayahuasca en contient en grandes quantités et la chimie moderne permet même d’en faire une molécule concentrée. La théorie du relativisme (Cybernétique) correspond également à cette idéologie3. Dans cet état d’esprit, le numérique pourrait être un langage universel permettant de traduire tout univers possible et imaginable.
Peu importe que l’on croie ou non à ces théories, je pense que le potentiel du numérique et sa pratique artistique réside majoritairement dans sa capacité de simulation couplée à sa capacité de pouvoir retranscrire n’importe quel système réel ou fictif à beaucoup de dimensions, et surtout de les mélanger. C’est un langage universel, parlé par l’homme, et de nombreux autres éléments de la réalité. Le numérique est un outil à l’intersection de plusieurs dimensions et peut nous les retranscrire (avec certaines limites).
- Voir Generative Art: a practical guide using Processing ↩
- Voir documentaire DMT, The Spirit Molecule ↩
- Voir Sciences cognitives textes fondateurs. ↩
L'art comme processus
Cette partie explore la notion de processus dans l’art numérique.
Le processus dans l’art
L’art tantrique (hindouiste et bouddhiste) contient beaucoup de mandalas dans lesquels on retrouve déjà un début de notion de processus. Effectivement, avec l’usage intense de la symétrie, le graphisme obtenu perd la notion de l’espace ; l’image peut être tournée dans tous les sens, mais cela n’affectera que très peu la composition finale. Par ailleurs, la symétrie est également une méthode de travail ce qui fait que le mandala est une sorte de processus de représentation graphique dont on voit le résultat final.
On retrouve également cette notion dans l’art contemporain, notamment dans les performances où le processus est directement visible, mais également dans le travail de Burri, et de manière plus générale, dans le travail de la peinture, la sculpture, etc. En fait, je pense que tout art implique un processus. Cela peut être un processus visible ou invisible, physique ou virtuel, réel ou fictif.
par exemple une activité de dessin pourrait entrer dans [le champ du temps réel] si l’on considère le processus avant le résultat.
- Esaaix à propos de la mention a-RT.
Processus Numérique
Tout ce que l’ordinateur sait faire, c’est exécuter ; et il est très fort pour cela. Or, toute application numérique est un processus complexe. Ainsi, tout artiste utilisant l’outil numérique fait appel à un ensemble de processus que l’ordinateur se charge d’exécuter. L’art numérique repose donc sur le pouvoir exécutif rapide et logique de l’ordinateur. En anglais, je trouve le terme ‘computing’ mieux adapté puisqu’il le lie également au domaine numérique. De plus, le terme ‘computing’ comprend simultanément les notions de processus algorithmique et d’exécution active.
Le propre du système informatique est d’exécuter, toujours exécuter, tans bien que mal, parfois plus mal que bien, mais toujours en boucle - la machine est sans cesse dans un effort /d’éternel retour/ au réel.
- Edric Douglas Stanley, Nouveaux Médias, Nouveaux Langages, Nouvelles Écritures (page 52)
Less is more
Il y a un proverbe qui dit ‘less is more’, et je pense qu’il s’applique dans le Way of Life de Conway, un automate cellulaire un modèle très simple où chaque état conduit mécaniquement à l’état suivant à partir de règles préétablies. À partir d’une condition initiale, ces règles reconstituent une animation plus ou moins longue, voire infinie. De nombreux internautes se sont d’ailleurs emparés de son système pour y créer des animations plus ou moins figuratives ; ils ont même reconstitué un kit de développement contenant des structures abstraites, des briques de construction. Il est également intéressant de noter que ces règles simples, une fois animées, font parfois penser à un comportement organique, ce qui laisse penser que la nature serait gouvernée par un ensemble de règles très simples.
En tout cas, ce que je retiendrai ici c’est que des processus minimalistes peuvent enclencher des comportements très complexes et des visuels très riches… ou, du moins, nous les percevons comme riches et complexes. Couplé à la puissance d’exécution de l’ordinateur, le processus prend vie et dévoile une complexité inattendue.
Simuler
Un processus mis en œuvre devient une simulation. Je ne reviendrai pas sur le principe de simulation, mais j’aimerais juste rappeler qu’il a permis aux processus numériques de s’inscrire dans une dimension temporelle. Il peut donc s’adapter à un contexte. C’est également une question très abordée par les artistes numériques.
Un des artistes les plus connus pour ses simulations est peut-être Karl Sims. Dans Virtual Evolved Creatures, une vidéo générée par ordinateur, il laisse voir des créatures géométriques issues d’une simulation d’évolution darwinienne de créatures au sein d’un espace 3D virtuel. Par une croissance généalogique, des créatures ont des caractéristiques mécaniques qui donnent lieu à des interactions avec les lois 'physiques' virtuelles. Un critère de réussite comme la vitesse de déplacement permet de sélectionner les créatures les plus évoluées.
Différentes temporalités
On peut retrouver trois types de temporalités dans une simulation. Premièrement, on trouve le temps réel qui permet une synchronisation entre le temps de la réalité et le temps simulé sur l’ordinateur. Dans ce cas, les deux temporalités s’écoulent à la même vitesse, ce qui permet entre autres d’interagir avec le processus. L’école d’Art d’Aix-en-Provence met d’ailleurs l’accent sur cette temporalité en proposant une mention dite A-RT.
Les deux autres temporalités qu’on trouve sont le temps décéléré et le temps accéléré, utilisé par exemple dans les prévisions météo pour prédire le futur en partant de la condition initiale du présent. Une simulation accélérée permet alors de prévisualiser la météo sur un certain laps de temps.
Scott Draves
Si je devais choisir une œuvre archétype de l’art numérique je choisirais Electric Sheep de par sa pertinence et sa diversité ; d’autant plus que je pourrai l’inscrire dans chaque catégorie de ce recueil. Créée par Scott Draves, c’est une œuvre tellement complexe qu’elle devient vivante dans plusieurs sens du terme. Premièrement, l’œuvre vit dans le domaine de l’open source ; des contributions collaboratives la font donc respirer et évoluer. Deuxièmement, l’œuvre est déployée à l’échelle mondiale sous forme d’économiseur d’écran distribué gratuitement sur internet. Elle réside alors dans la mémoire vive des ordinateurs en suspension d’affichage, ce qui en fait une sorte de programme de rêve virtuel communautaire.
Par ailleurs, Electric Sheep utilise une structure fractale inventée par l’artiste en question : le flam3 fractal. Chaque flam3 présente des paramètres de rendus différents, codifiés à la manière d’un ADN. De plus, c’est un processus en constante évolution puisqu’il s’appuie sur un système d’évolution génétique. L’utilisateur peut voter pour un flam3 particulier ce qui va accoupler son ADN avec celui d’un autre, également voté par la communauté. Tous relié par un réseau P2P, chaque économiseur d’écran calcule une petite partie de cette nouvelle animation pour ensuite l’envoyer au serveur central qui se charge de recoller les parties puis de les diffuser à tout le monde. C’est un modèle interminable reposant sur un système de rendu collaboratif dans lequel on retrouve de nombreuses abstractions naturelles : la sélection, la mutation, la généalogie, l’ADN, l’évolution, etc. Dernièrement, l’œuvre est vivante dans le sens où c’est un algorithme qui évolue selon nos besoins graphiques. Ce sont des numéros qui prennent vie dans un monde virtuel.
L’artiste crée et imbrique donc des règles et des lois constituant un univers précis, menant à des comportement de plus en plus complexes.
Une pratique expérimentale
Au fil de son élaboration, l’outil numérique a permis une meilleure compréhension de notre environnement, et a permis de créer de nouveaux espaces perceptibles. Cette partie s’intéresse à la relation exploratoire que l’artiste numérique entretient avec ces espaces pendant le processus de création artistique.
Paramétrisation
Le numérique est un gigantesque processus constitué de centaines d’abstractions modulaires emboitées les unes avec les autres. Chacun de ces processus est une sorte d’équation dont on peut très facilement faire varier les paramètres.
Puisque l’artiste est (presque toujours) contraint d’utiliser des outils existants1 , chaque brique qu’il réutilise ou compose lui-même peut chacune recevoir un nombre de paramètres définis. Comme les briques s’accumulent rapidement, les paramètres se démultiplient tout autant, créant un vaste ensemble de paramètres qui influencent chacun un aspect de leur création. Cependant, il n’est pas toujours évident de connaitre quel paramètre contrôle quel aspect ; d’autant plus que certaines caractéristiques artistiques sont influencées par plusieurs paramètres. Alors, je pense que le plus grand danger pour l’artiste devient la ‘noyade paramétrique’.
Dans une présentation pour Inspire 2008, Íñgo Quílez explique qu’il travaille de manière procédurale. Il ne sait jamais exactement comment les nouveaux paramètres vont influencer sa création. Il procède étape par étape, par petits ajustements, essais, tests, additions et combinaisons, en jugeant artistiquement le résultat final après chaque étape. C’est une méthode de travail très expérimentale, mais les résultats qu’il obtient sont impressionnants !
Décliner
On a aujourd’hui développé des ordinateurs ayant une puissance de calcul très rapide. Ainsi, ils peuvent rapidement exécuter les processus qu’on lui instruit ; d’autant plus qu’il est souvent possible d’exécuter simultanément plusieurs simulations ; à défaut de les exécuter à tour de rôle. Face à cette multitude de paramètres qu’implique chaque processus, l’ordinateur est très utile pour générer de nombreuses variantes et déclinaisons.
Par exemple, cela correspond à la démarche de fabrication de Nervous System. Dans le projet Folium par exemple, ils ont écrit un processus permettant de générer des formes de feuilles en 3D. Ainsi, il devient très facile de faire ‘pousser’ une nouvelle feuille puis l’exporter pour qu’il soit fabriqué physiquement. Chaque feuille est unique, mais toutes se ressemblent.
Aléatoire Volontier
Dans la performance I Like America and America Likes Me, Beuys laissait déjà place à des incidents dans le processus créatif. Il a volontairement décidé de réaliser sa performance en présence d’un coyote dont le comportement n’est que peu prévisible.
L’aléatoire est également un sujet très abordé par les artistes numériques. Or, il faut savoir que l’ordinateur, dans toute sa rationalité, ne connait pas le hasard. L’auteur de Random.org précise qu’il est possible d’aléatoiriser une variable, mais le processus numérique fait qu’elle garde toujours un aspect rationnel et donc prédictible et non hasardeux. Peu importe que cette valeur soit complètement aléatoire ou pas, le code permet de volontairement insérer une part d’aléatoire dans la création artistique, et donc de volontairement perdre le contrôle sur le résultat final.
Perte de contrôle
D’autre part, il y a une perte de contrôle involontaire issu de la complexité imprévisible de certains processus informatiques. La complexité du processus ne permet pas toujours à l’artiste d’anticiper les résultats. Dans d’autres cas, un comportement inattendu peut se produire suite à une mauvaise compréhension du code par l’artiste. C’est ce qui m’est arrivé sur la page d’accueil de mon site internet. Alors que j’essayais d’obtenir un certain mouvement, celui-ci s’est mis à boguer, mais le résultat m’a plu alors je l’ai gardé.
Draves' original Flames were quite simple; over the years the Electric Sheep system has evolved to the point where often the artist himself cannot imagine how his algorithm produces certain characteristics.
- Draves, Scott, Site web portfolio de l'artiste, consulté le 10-12-2015.
http://scottdraves.com/prints-portfolio.htmlBecause it’s infinitely changing, your never know what’s going to emerge next.
- Latham, William, Interview accordé à Art News lors du Edinburgh International Science Festival, 2013
The artist as Gardener
Puisque le numérique est un processus modulaire exécuté à une vitesse phénoménale, l’information numérique se démultiplie facilement et il devient primordial pour l’artiste de réguler ce flux d’informations. Or, si l’artiste n’a plus le contrôle sur le processus de création, alors il doit explorer, sélectionner et ajuster afin de faire des choix artistiques ; à défaut de ne pas utiliser le processus en question. Cette idée m’a été introduite par William Latham et a été reprise par d’autres artistes comme Matt Pearson.
William Latham, travaillant en 1987 pour IBM, explique que son processus artistique se déroule en deux temps. Il élabore dans un premier temps un espace gouverné par une série de règles spécifiques. Il dit qu’il est ‘Dieu’ dans cette étape-là puisqu’il crée un monde où tout est possible à ne partir de rien. Ensuite, il procède à l’exploration de ce monde, en confrontant certains paramètres avec son univers artistique et ses préférences esthétiques. Il essaye certains paramètres, garde ceux qu’il préfère puis recommence. Pour mieux comprendre son travail, il se compare à un jardinier dans cette étape-là. Parti de la scène artistique en 1993, William Latham est revenu à faire de l’art et explique dans une conférence plus récente qu’il a développé une façon de procéder qu’il appelle « The Artist as gardener ».
You’re like god setting up the world and then you’re the gardener working within it.
- Latham, William, Evolutionary Art, conférence Arts/Sciences #15, http://imal.org/en/activity/artssciences15-william-latham
Selon le Darwinisme, la sélection naturelle est un système sélectionnant certaines combinaisons parmi une infinité de paramétrages possibles et teste leur capacité de survie dans le temps à plusieurs échelles. Dans l’art numérique, l’artiste prend ce même rôle en sélectionnant par un critère plastique, esthétique et artistique plutôt que par un critère de survie durable (fonctionnel). On pourrait alors parler d’une nature virtuelle, ou plus précisément un jardin virtuel gouverné par un artiste-jardinier.
Evolution driven by easthetics
Generative energy
Content emerges form the computer
The computer is the vehicle that generates and unlocks the content.
Bring nature and art together
Navigate the space of possibilities
- Latham, William, Evolutionary Art, conférence Arts/Sciences #15, http://imal.org/en/activity/artssciences15-william-latham
A way of generating extremely rich variants
- William Latham, TEDx Oxford, https://www.youtube.com/watch?v=MZGOr94468w
Par ailleurs, Latham s’inspire beaucoup de logiques naturelles, comme la mutation, la généalogie, l’ADN, etc., qui lui permettent de sélectionner plus rapidement les bons paramétrages face à l’immense espace aux possibilités quasi infinies qu’il a mis en place. Il explique qu’il navigue de mutation en mutation jusqu’à obtenir la bonne ‘espèce’ virtuelle. Il précise qu’il ressent une ‘énergie générative’ et que ‘du contenu émerge de l’ordinateur’.
Like the landscape gardener, the lot of the generative artist is to take naturally evolving phenomena and to fashion them into something aesthetically pleasing. It’s finding that point of balance between the beautiful unruliness of the natural world and the desired order of our ape brains. A garden that is unkempt and overgrown is unpleasing to us because it’s too far into the realm of the chaotic, whereas concreting the area instead is the tidiest, most ordered of solutions,which also removes all beauty
- Matt Pearson, Generative Art (page xix)
- (voir chapitre XXX) ↩
Conclusion
Ce mémoire aborde, de manière non exhaustive, de nombreux aspects complexes liés à la pratique de l’art numérique. Les artistes explorent et s’approprient l’espace numérique qui, parfois, s’apparente à la réalité physique et quotidienne, parfois elle comporte des éléments plus fictifs, mais c’est surtout l’entre-deux qui rend l’utilisation de ce support si intéressant. Crées artificiellement et collectivement à partir d'une série d’instructions abstraites rationnelles, certains logiciels atteignent aujourd’hui un niveau de complexité remarquable ; laissant émerger de nouveaux espaces perceptibles. Ainsi, l’humain est en quelque sorte dépassé par sa propre création.
Par ailleurs, la question de la nature est récurrente dans le travail artistique numérique. C’est sûrement à force de réutiliser des mécaniques issues du milieu naturel que cette ‘nature virtuelle’ donne lieu à des comportements humainement imprévisibles. À la manière de la nature organique que l’on analyse depuis des siècles, le numérique est devenu un nouvel espace à découvrir, à analyser, à déchiffrer et à explorer.
Ainsi, me demande parfois si l’art numérique est un art scientifique ou si ce n’était pas plutôt une science artistique. Bien que je choisirai la première proposition, le numérique nécessite d’avoir une certaine expérience et des compétences d’ingénieur pour communiquer pleinement en langage machine.
Bibliographie
Festival Burning Man, Black Rock City, États-Unis, 1989-2015, consulté le 9-12-2015
MCD #79 : Nouveaux récits du climat, Musiques & cultures digitales, sept. oct. nov. 2015
A.D.N., association loi 1901, http://artdistorsionsnumeriques.com/
Arte, BiTS S03E04 : Back to Back, 10 Novembre 2015
Asimov, Isaac, Past, present, and future, Prometheus Books, 1987, ISBN 0879753935, 9780879753931, 374 pages
Baltrusaitis, Jurgis, ABERRATIONS. Essai sur la légende des formes, Flammarion, 1983
Becker, Kory, Using Artificial Intelligence to Write Self-Modifying/Improving Programs, http://www.primaryobjects.com/2013/01/27/using-artificial-intelligence-to-write-self-modifying-improving-programs/, consulté le 3-10-2015.
Burnham, Jack, Real Time Systems, ArtForum Sept 1969, Pulsa
Burri, Alberto, Cretti, exposé à http://exhibitions.guggenheim.org/burri/art/cracks/grande-bianco-1971
Conway, John Horton, Game of Life, automate cellulaire, 1970.
de Lange, Daan, Mapping Nuit des Musées, projection vidéo, 16-05-2015.
Dragulescu, Alex, Malwarez, 2007, issu de Code + Form.
Draves, Scott, Site web portfolio de l'artiste, consulté le 10-12-2015.
http://scottdraves.com/prints-portfolio.html
Esaaix, La mention Art Temps Réel, article, 2015, http://www.ecole-art-aix.fr/rubrique1690.html
Gaudí, Antoni, Sagrada: The Mystery of Creation, film documentaire réalisé par Stefan Haupt, First Run Features, Mai 2014
Github, plateforme de collaboration pour la programmation, https://github.com/, consulté le 26-11-2015.
Google Inc., Deep Dream, https://github.com/google/deepdream, July 2015
Hackteria, Generic Lab Equipment,http://hackteria.org/wiki/Generic_Lab_Equipment, consulté le 21-10-2015
Ikeda, Ryojii, Superposition, performance, 2012, http://www.ryojiikeda.com/project/superposition/
Indisponible pour cette référence.
Karma Kusala, association loi 1901, http://www.karma-kusala.com/
Latham, William, Evolutionary Art and Computers, Conférence lors du TEDx Oxford, http://tedxtalks.ted.com/video/Evolutionary-Art-and-Computers, Aout 2015
Latham, William, Evolutionary Art, conférence Arts/Sciences #15, http://imal.org/en/activity/artssciences15-william-latham
Latham, William, Portrait of William Latham and Stephen Todd, http://latham-mutator.com/1988/01/portrait-of-william-latham-and-stephen-todd/, consulté le 16-11-2015.
Latham, William, Interview accordé à Art News lors du Edinburgh International Science Festival, 2013
Latham, William, Site web à propos de son parcours artistique, http://latham-mutator.com/, consulté le 23-11-2015
Lucas, Thierry, IBM concentre 1 million de neurones et 256 synapses sur une puce, 21-08-2014, http://www.usine-digitale.fr/article/ibm-concentre-1-million-de-neurones-et-256-synapses-sur-une-puce.N279274, consulté le 3-11-2015
Maeda , John, Design by Numbers, livre, MIT Press, 01-10-2001.
Maeda, John, Tweet du 27 janvier 2014, https://twitter.com/johnmaeda/status/482616747648753664, consulté le 19-11-2015.
Manfrini, Yann, Le Peintre et le programeur, 2015
McCormack, John, Impossible Nature: the Art of Jon McCormack, livre + DVD, Australian Centre for the Moving Image, 2004, 136 pages.
McWilliams, Reas Casey, Chandler, Barsende, Jeroen, Form + Code In Design, Art, and Architecture, Princeton Architectural Press, 2010, 176 pages
MYTHAPHI, DMT: The Spirit Molecule, film documentaire, 01-09-2014.
Pearson, Matt, Generative Art: a practical guide using Processing, Manning Publications, 2011
Prudence, Paul, Data is Nature, 09-07-2015, http://www.dataisnature.com/?p=2191, consulté le 21-09-2016.
Pélissier, Aline et Tête, Alain, Sciences cognitives textes fondateurs (1943-1950), Broché, 28 avril 1995.
Quéau, Philippe, Éloge de la simulation, Editions Champ Vallon, 01-02-1986
Rehse, André, _Biomimétisme - S'orienter dans le chaos](http://www.arte.tv/fr/biomimetisme-s-orienter-dans-le-chaos/3730386.html), Arte, film documentaire, diffusé le 18 Mars 2011.
Schwartzberg, Louie, Hidden miracles of the natural world, TED Talks, Mars 2014, http://www.ted.com/talks/louie_schwartzberg_hidden_miracles_of_the_natural_world
Sims, Karl, Virtual Evolved Creatures, 1994, http://www.karlsims.com/evolved-virtual-creatures.html, consulté le 01-12-2015.
Tron, Colette (dir.), Nouveaux Médias, Nouveaux Langages, Nouvelles Écritures, éditions l'Entretemps, 2005
Ursyn Anna, Nature Related Computerkunst, IGI Global, 30-04-2012, 443 pages.
Wikipedia, Histoire des ordinateurs, https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_ordinateurs, consulté le 05-10-2015
Wikipedia, Ordinateur, https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordinateur, consulté le 8-10-2015.